Une tribune publiée sur le site www.lemonde.fr
Nul besoin pour moi de jouer dans le registre des peurs ou celui d’un choix par défaut pour prendre mes responsabilités dans la situation politique présente, celle de tous les périls à quelques semaines d’une élection présidentielle plus incertaine et plus dangereuse que jamais depuis cinquante ans.
Homme de Gauche et fidèle aux valeurs que je n’ai cessé de porter, en toute liberté et les yeux grands ouverts, j’ai décidé de prendre mes responsabilités et d’apporter mon soutien à la candidature d’Emmanuel Macron. Il ne s’agit pas d’une décision hâtive : il y a plusieurs mois que murissait mon choix et que je m’en étais ouvert à Emmanuel Macron et à mes amis politiques. J’en mesure la signification et la gravité.
Voilà quatre ans, j’ai publié un livre[i] où je m’alarmais de l’état de choc qui menaçait désormais notre démocratie. De vieux appareils politiques en rupture avec leur mission républicaine ; un système politique banni par des Français en souffrance, plongé dans la défiance de l’élite politicienne. Cette caste engluée dans de sombres conflits d’intérêt et d’égo, en rupture morale avec l’intérêt général et le bien commun, l’actualité en regorge.
Dans un pays où les populismes de tous poils sont en embuscade plus prêts que jamais à s’arroger l’espace laissé en jachère, parce que nous en sommes là, au bord de la falaise, je me refuse à dissimuler ou à banaliser l’hypothèse cruellement réelle d’une « douce ascension » de l’extrême droite à la présidence de la République. L’hypothèse – « Chez nous » – d’un séisme Trump à la française…
Certains me disent avec sincérité s’interroger sur mon choix. C’est aussi pour eux que j’écris ces lignes. D’autres considèrent que se rassembler avec des femmes et des hommes de sensibilités qui se sont parfois opposées relève de la trahison ou du reniement à ses idées. Je persiste à penser que jamais la menace de l’extrême-droite n’a été si grande et qu’il serait irresponsable – au-delà des différences – de ne pas tenter ensemble de la conjurer.
« Quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat… » écrivait Aragon.
Ma démarche ne se fait pas dans la confusion idéologique. Personne n’ignore les réserves – voire les désaccords – qui peuvent me séparer sur certains points du projet d’Emmanuel Macron. Ce n’est guère une surprise. Mon passé politique et mon engagement sont connus et je n’en gomme rien.
Je n’ai pas cédé à je ne sais quelle mutation social-démocrate ni, moins encore, succombé au parfum libéral dans l’air du temps. Soyons clairs, je continue de penser que l’heure n’est pas à l’aménagement mais au dépassement de cette société inégalitaire dans laquelle perdurent et grandissent des injustices inacceptables et révoltantes.
Le sens de mon engagement est celui d’un progressiste de gauche, au cœur d’une France dont beaucoup, je crains, ne mesurent pas dans le moment présent l’extrême fragilité démocratique. Aujourd’hui, le combat primordial des démocrates doit à mes yeux se porter vers le rassemblement le plus utile et efficace pour barrer la route du pouvoir à la droite radicalisée et à l’extrême-droite lepéniste, dont les sondages actuels sous-estiment peut-être le score.
Si rien n’est joué, ce n’est tricher avec personne que de constater que pour l’heure, seul parmi les candidats progressistes – dont je respecte l’engagement – Emmanuel Macron est en capacité d’être présent au second tour de l’élection présidentielle. Puis-je ajouter qu’il est également le seul à pouvoir devancer Marine Le Pen au premier tour, ce qui serait déjà un grand réconfort pour la démocratie française.
Considérer ce combat primordial n’efface pas pour autant l’intérêt que je porte au projet de renouveau démocratique proposé par Emmanuel Macron.
J’ai déjà dit que les axes forts de ce projet me semblaient pour nombre d’entre eux positifs, sans pour autant dissimuler mes désaccords avec certaines inflexions trop libérales. Mais c’est précisément l’esprit de la démocratie de l’exprimer avec la volonté de contribuer à un dépassement positif.
Dès le début de cette tribune, j’ai noté le danger majeur qu’engendrait pour la démocratie la crise morale et politique qui secoue la France. C’est pourquoi, j’ai demandé à Emmanuel Macron de prolonger son projet de moralisation de la vie publique d’une loi touchant à l’éthique et à la transparence des finances et, tout particulièrement, à l’évaluation et au contrôle de l’utilisation des fonds publics accordés aux entreprises privées et publiques. L’accord d’Emmanuel Macron d’intégrer à son projet cette proposition me parait être une contribution économique et sociale majeure au rétablissement de la confiance avec les citoyennes et citoyens français.
A mon sens, c’est dans cet esprit de compromis positif et durable que peut se constituer un socle majoritaire de contenus et principes démocratiques constitutifs d’une politique progressiste allant – dans le respect de la diversité et du pluralisme – bien au-delà des clivages traditionnels et permettant de bâtir une France nouvelle.
Robert HUE
Sénateur, Président du Mouvement des Progressistes
[i] Les partis vont mourir… et ils ne le savent pas ! Paris, L’Archipel, 2014.
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